Les voies de la révolte Cinéma, images et révolutions dans les années 1960-1970.

Mercredi 15 juin (projection)
Vendredi 17 et samedi 18 juin 2011 (présentations, débats et projections)
9h30 – 19h30
Musée du quai Branly - Salle de Cinéma et Salon Jacques Kerchache
37, Quai Branly / 218, rue de l’Université, 75007 Paris
Métro ligne 9 Alma-Marceau ou RER C Pont de l’Alma
Dans son livre Les Bannières de la révolte. Anarchisme, littérature et imaginaire anticolonial (Paris, La Découverte, 2005), l’historien anglais Benedict Anderson dresse le portrait d’une planète en ébullition, ébranlée à la fin du XIXe siècle par une série de mouvements anti-impérialistes et nationalistes. L’étonnante circulation d’idées nourrissant cette véritable mondialisation sert ici d’exergue à l’exploration d’un autre moment clé dans la longue histoire des combats politiques: les luttes de libération et les révolutions qui ont reconfiguré le monde dans les années 1960-1970. Initiative conjointe du Centre d’art et de recherche Bétonsalon, du Centre de recherche en esthétique du cinéma et des images (CRECI) de l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle et du salon de lecture Jacques Kerchache du musée du quai Branly, les journées d’étude Les voies de la révolte : cinéma, images et révolutions dans les années 1960-1970 se proposent de réunir un ensemble d’intervenants (chercheurs, artistes et cinéastes) autour de ces questions. Prenant la forme de projections, de présentations et de débats, ces deux journées complémentaires – l’une conçue autour d’un numéro spécial de la revue Third Text consacrée à l’image militante et dirigé par Kodwo Eshun et Ros Gray (Goldsmiths College, Londres), l’autre organisée par Teresa Castro (Musée du Quai Branly / Paris III) autour des cinématographies des Afriques lusophones – explorent globalement les rapports entre les cinémas des mouvements de libération. La projection du film de Ruy Guerra, Mueda, Mémoire et Massacre (1979), le mercredi 15 juin au Studio des Ursulines (avec la collaboration de l’association Olho Aberto) inaugure symboliquement l’évènement.      
'Mueda, memória e massacre', de Ruy Guerra'Mueda, memória e massacre', de Ruy Guerra
En présence de: Mathieu Kleyebe Abonnenc, Nicole Brenez, Jonathan Buchsbaum, Teresa Castro, José Filipe Costa, Margaret Dickinson, Kodwo Eshun, Elisabete Fernandes, Ros Gray, Olivier Hadouchi, François Lecointe, Sarah Maldoror, Lúcia Ramos Monteiro, Raquel Schefer, Catarina Simão et Cédric Vincent.
Informations pratiques: ouvert au public sans inscription préalable. Les journées se dérouleront en anglais et en français.  Réservation conseillée à: info@betonsalon.net
Projection de Mueda, Mémoire et Massacre, Ruy Guerra (1979, Mozambique).
Mercredi 15 juin 2011, 20h30
Studio des Ursulines, 10 rue des Ursulines, Paris 75005.
Le 16 juin 1960, à Mueda, au Mozambique, l’armée portugaise exécute six cent personnes parmi la population, sur l’ordre du gouverneur portugais. Depuis l’indépendance de leur pays, les habitants de Mueda, revivent chaque année cet événement en jouant une pièce de théâtre.
Séance présentée par  Raquel Schefer, dans le cadre du Rendez-vous mensuel du cinéma lusophone / Association Olho Aberto.  
http://www.olhoaberto.com/
Journée 1 / L’image militante : une ciné-géographie
Vendredi 17 Juin 2011, 9h30-19h30
Musée du quai Branly : salle de cinéma  (le matin) et Salon de lecture Jacques Kerchache (l’après-midi).
Comment appréhender l’image militante aujourd’hui est la question que pose le numéro spécial Third Text édité par Kodwo Eshun et Ros Gray (volume 25, 2011), qui réunit des chercheurs internationaux autour de ce sujet. L’image militante comprend toute forme d’image ou de son – de l’essai filmique au film de fiction, du documentaire d’observation au pamphlet cinématographique, de l’adaptation contestataire des productions filmiques coloniales à l’actualité cinématographique – produite dans et à travers les pratiques cinématographiques consacrées aux luttes de libération et aux révolutions de la fin du XXe siècle. Consacré à la ciné-géographie de l’image militante, ce numéro revisite les archives de ces instants afin de reconstituer des exemples nécessairement partiaux des formulations les plus contestées et influentes, mais aussi les plus négligées de l’image militante, telles que celles proposées de la fin des années 1960 au milieu des années 1970.

9h30         Accueil.
9h45        Présentation de la journée et des projections du matin.

Fragments de quelques révolutions.
10h00        Projection de Scenes from the Class Struggle in Portugal, Robert Kramer (1977, 85 min).
11h45        Projection de Black Liberation, Edouard de Laurot (1967, 38 min).
12h30        Nicole Brenez (Paris III). Edouard de Laurot : l’engagement comme prolepse (FR).
13h00        Pause déjeuner.

Traduction / Diffusion / Circulation.
14h30        Kodwo Eshun et Ros Gray (Goldsmiths). The Militant Image: a ciné-géography.                    Présentation du numéro 25 de Third Text (EN).
15h00        Jonathan Buchsbaum (Queen’s College, NY). One, Two… Third Cinemas (EN).
15h30        Elisabete Fernandes (Paris VII). Une expérience de super 8 au Mozambique ou « Comment filmer la liberté ? » (FR).
16h00        Discussion / Pause café.  

Esthétiques de l’engagement / Production collective / Formation.
16H30        José Filipe Costa (Royal College of Art). When Cinema forges the event: the case of         Torre Bela (EN).
17h00        Olivier Hadouchi (Paris III). La lutte d’indépendance de l’Afrique lusophone vue par le Festival Panafricain d’Alger de 1969 (FR).
17h30        François Lecointe (EHESS). Les éléphants du bout du monde (FR).
18h00        Table ronde avec les participants de la journée (en anglais et en français).

Journée 2 / Afriques lusophones, écrans révolutionnaires
Samedi 17 juin 2011, 9h30-19h30
Musée du Quai Branly : salle de cinéma.

En 1975, les pays africains d’expression portugaise – le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert et les îles de São Tomé et Príncipe – célèbrent la fin de l’occupation coloniale. Pendant les années de guerre, quelques cinéastes et militants aux origines diverses tournent des images qui rendent compte des luttes de libération. L’histoire de ces films est le récit d’une mondialisation « alternative », réunissant pays du « tiers monde », bloc soviétique et de nombreux réseaux militants autour de questions qui sont autant d’ordre géopolitique que formelle. Face aux lacunes qui caractérisent cette histoire, quelles sont les stratégies mobilisées pour réparer l’oubli ? Entre témoignage et vision d’ensemble, comment restituer la cartographie complexe qui fut le moteur de certaines expériences ?

9h30         Accueil.
9h45        Présentation de la journée.

Histoire(s).
10h00        Ros Gray (Goldsmiths). The Vanguard of the World: Mozambican Cinema and
        the turn to Militancy in African Liberation (EN).
10h30    Cédric Vincent (EHESS). Quand les Festivals se donnaient le mot : luttes festivalières dans l’Afrique des années 1960-70 (FR).
11h00        Discussion / Pause café.  

Stratégies artistiques.
11h30            Raquel Schefer (Paris III). Reconstitutions : autour de « Mueda, Memória e             Massacre » (FR).
12h00        Lúcia Ramos Monteiro (Paris III). Passages d’images (FR).
12h30        Discussion / Pause déjeuner.

Artistes/historiens.
14h00         Teresa Castro (Musée du quai Branly / Paris III). Artistes – historiens?  Archives, mémoire et explorations documentaires (FR).
14h30        Mathieu Kleyebe Abonnenc. Notes: autour de Des fusils pour Banta, un film de Sarah Maldoror (FR).
15h00        Catarina Simão. Hors-champ. Autour des archives cinématographiques du  Mozambique (FR).
15h30        Discussion / Pause café.        

Témoignages.
16h00        Margaret Dickinson. Flashbacks to a Continuing Struggle (EN).
16h30        Projection de Behind the Lines, Margaret Dickinson (1971, 53 min).
17h30        Sarah Maldoror en conversation avec Mathieu Kleyebe Abonnenc (FR).

Projection.
18h30        Sélection de films: Raquel Schefer, Nshajo (O Jogo), 2011; Manuel Santos Maia,         alheava_filme, 2006-2007; Alfredo Jaar, Muxima, 2007.      

Résumés des interventions et biographies des participants.

Mathieu Abonnenc.
Notes autour de Des fusils pour Banta, un film de Sarah Maldoror.

En 1970, Sarah Maldoror, alors toute jeune réalisatrice, passe trois mois en Guinée-Bissao afin de réaliser un film que l’Office Nationale du Commerce et de l’Industrie Cinématographique algérien lui a commandé. À son retour, suite à un désaccord sur le montage final, elle est expulsée d’Algérie, et les bobines lui sont confisquées. Elles n’ont jamais été retrouvées. Je tenterai de retracer mon enquête autour de ce film perdu, intitulé Des fusils pour Banta, ainsi que les intentions de Sarah Maldoror, ses ambitions, ses influences esthétiques et idéologiques, et plus globalement le contexte international qui l’a nourrie. Un voyage qui nous conduit de Paris à Alger, de Cuba à Bissao, en passant par l’université Lomonosov de Moscou.

Né en Guyane française et vivant et travaillant à Paris, Mathieu Abonnenc s’intéresse dans son travail d’artiste à une part de l’histoire coloniale passée sous silence ou mise à l’écart de la connaissance collective. Sa démarche s’est plus récemment ancrée dans un travail de recherche sur le long terme, son dernier projet en date prenant comme point de départ l’œuvre cinématographique militante de Sarah Maldoror dans le contexte des luttes de libération en Afrique lusophone. Expositions à venir et récentes : Foreword to Guns for Banta, Gasworks, London (2011) ; A minor sense of didacticism, Marcelle Alix, Paris (2011); exposition personnelle à La Ferme du Buisson (2011); Marcelle Alix, Paris (2011) ; Manifesta 8, Murcia (2010).

Nicole Brenez.
Edouard de Laurot : l’engagement comme prolepse.

À l’instar de celui de René Vautier, le trajet du cinéaste polonais Edouard de Laurot mène directement des combats de la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale aux luttes de Libération des années 1960 et 1970. Dans un entretien intitulé « Yves de Laurot defines Cinema engagé », Edouard de Laurot raconte : « la première fois que j’ai tenu une caméra dans ma main, ce fut à la fin de la guerre, j’étais un jeune adolescent. Nous avons capturé un tank allemand et à l’intérieur – en plus des équipements habituels – nous avons trouvé une Arriflex 35mm de combat. Alors nous avons expliqué aux soldats que nous leur laisserions la vie s’ils nous apprenaient à nous servir de cette caméra. Il y avait un mitrailleur autrichien tout tremblant et pas très convaincu que nous l’épargnerions. Mais nous l’avons fait, et il nous a appris. » (Cinéaste, Spring 1970). Le lien inaugural entre cinéma et combat ne se dénouera plus : pour Edouard de Laurot la caméra est une arme, et il ne cessera de défendre, théoriser et illustrer ce qu’il appelle, d’un terme français, le « Cinéma Engagé ». De Laurot réalise deux films : Black Liberation (1967), Listen America ! (1968). Il laisse aussi un nombre considérable d’articles, de scénarios, de rushes et d’initiatives encore largement méconnus, en dépit du caractère tout à la fois pionnier, cohérent et foisonnant de son parcours.

Professeur de cinéma à l’université de Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, Nicole Brenez est historienne et programmatrice. Ancienne Élève de l’École Normale Supérieure, agrégée de Lettres Modernes, elle a publié plusieurs livres (De la Figure en général et du Corps en particulier. L’invention figurative au cinéma, De Boeck Université, 1998 ; Une Passion critique. Abel Ferrara, le mal mais sans fleurs, Illinois University Press, 2007 ; etc.), ainsi que de nombreux articles. Elle a conçu et organisé un grand nombre de manifestations et rétrospectives de films, en France et à l’étranger. Elle programme les séances d’avant-garde de la Cinémathèque française depuis 1996.

Jonathan Buchsbaum.
One, Two … Third Cinemas.

L’article célébré des argentins Octavio Getino et Fernando Solanas, « Vers un Troisième Cinéma » (1969) est d’abord apparu dans la revue Tricontinental. Tricontinental s’identifiait comme le centre nerveux de l’Organisation de la Solidarité avec les Peuples d’Afrique, Asie et Amérique Latine (OSPAAL). Ainsi, la revue avait pour objectif de mobiliser un public tiers mondiste à un moment où des collectifs de cinéma radical produisaient des films militants et des théories sur le cinéma militant. Alors que « Vers un Troisième Cinéma » devint le manifeste sur le cinéma militant le plus connu, Solanas and Getino ont continué à élaborer leur pensée dans de nombreux articles dont peu ont été traduits dans d’autres langues. Ces autres écrits essayaient non seulement de clarifier leurs formulations, mais ils reflétaient aussi leur propre participation dans les mouvements politiques en Argentine.

Professeur en Media Studies à Queens College, City University de New York, Jonathan Buchsbaum a écrit sur le cinéma politique et sur les politiques du cinéma national. Ses publications incluent Cinéma Engagé: Film in the Popular Front (1988) et Cinéma and the Sandinistas: Filmmaking in Revolutionary Nicaragua (2003).

Teresa Castro.
Artistes – historiens? Archives, mémoire et explorations documentaires.

Si la figure de l’« artiste –historien » n’est pas nouvelle, force est de constater que les archives (au sens élargi) concernant la mémoire et le patrimoine visuel de plusieurs pays africains (dont le Mozambique, la Guinée-Bissao ou encore l’Angola) se voient de plus en plus investies par des artistes (Mathieu Abbonenc, Filipa César, etc.). Leurs explorations documentaires, fondées sur un travail précis sur des sources et des expériences de recherche plus au moins longues, produisent une forme de « contre-histoire », ou d’« histoire alternative » à laquelle il faudrait s’intéresser.

Historienne de l’art de formation et docteur en études cinématographiques, Teresa Castro enseigne à l’Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Post-doctorante au musée du quai Branly (2010-2011), elle poursuit actuellement ses recherches touchant aux problèmes de culture visuelle. Co-fondatrice du collectif Le Silo (www.lesilo.org), elle mène, par ailleurs, une activité de critique et de programmation de films en lien avec différentes revues et espaces dédiés à l’art contemporain. Son livre La Pensée cartographique des images. Cinéma et culture visuelle est paru aux Éditions Aléas, Lyon, en 2011.  

José Filipe Costa
When Cinema forges the event: the case of Torre Bela.  

Dans cette présentation je discuterai de comment le film Torre Bela (1977), du réalisateur allemand Thomas Harland, est considéré comme un cas spécial dans l’histoire du cinéma produit pendant le processus révolutionnaire qui suivit le coup d’état militaire en 1974 au Portugal. Le film suit un groupe de paysans occupant un large domaine au centre du Portugal. Bien qu’invisibles dans le film, Harlan et son équipe ont joué un rôle crucial dans le flux d’évènements capturés par la caméra. Dans ce contexte, le cinéma est compris non pas comme un observateur passif qui enregistre des évènements, mais comme une force motrice de la révolution, créant une réalité qui émerge des rencontres provoquées entre les protagonistes. Dans Torre Bela, agir révolutionnairement et faire un film impliquent les mêmes enjeux.

José Filipe Costa est un réalisateur et doctorant au Royal College of Art à Londres. Ses films incluent Entre Muros (2002) dont il est le co-réalisateur, et les courts-métrages Undo (2004) et Domingo (2005) qu’il a écrit et réalisé. Il collabore avec UNIDCOM/IADE, l’Unité de Recherche en Design et Communication à Lisbonne, et es l’auteur du livre O cinema ao poder! (Le pouvoir au cinéma !, 2002).

Margaret Dickinson.
Flashbacks to a Continuing Struggle.

Dans cette communication, je discuterai le contexte culturel de mon film Behind the Lines (1971), dans le cadre d’une relation ambivalente à la culture de l’image de l’Afrique lusophone. Bien que ce film soit considéré “britannique” par la plupart des définitions, l’élément clé de sa genèse fut l’année que je passais à Dar es Salaam travaillant pour la FRELIMO (Front de Libération du Mozambique). Dans mon examen des enjeux politiques du film, je soutiendrai que si la FRELIMO a été l’inspiration principale du film, d’autres influences ont été importantes. Je discuterai ensuite de la stratégie cinématographique et du langage filmique par rapport à des pratiques documentaires contemporaines du film, en remarquant que ce dernier ne s’adapta pas entièrement à la vision que j’avais alors de la méthode documentaire. Pour conclure, je suggérerai que Behind the Lines est mieux approché comme le produit d’une forme spécifique de solidarité, liée à un internationalisme révolutionnaire optimiste.

Margaret Dickinson est réalisatrice indépendante et auteure de livres sur le cinéma dont Rogue Reels: Oppositional Film in Britain, 1945-1990 (1999). A la fin des années 1960, Dickinson travailla pour FRELIMO (Front de libération du Mozambique) et en en 1971 elle réalisa le documentaire Behind the Lines sur la lutte armée pour l’indépendance du Mozambique. En 1978, elle forma des monteurs à l’Institut National du Mozambique (INC). Ces dernières années, elle a été impliquée dans des formations en média en Inde.

Kodwo Eshun est théoricien, artiste et directeur du Master Cultures Orales et Visuelles au Goldsmiths College, Londres. Ses publications récentes incluent Rock My Religion (2011), Harun Farocki: Against What? Against Whom? (2009) et The Ghosts of Songs: The Film Art of the Black Audio Film Collective (2007). Il est le co-fondateur (avec Anjalika Sagar) d’Otolith Group, dont le travail a été présenté internationalement notamment au Turner Prize (2010) et au British Art Show (2011) ; à  la 29e biennale de São Paulo (2010)  et Manifesta 8, Murcia (2010).

Elisabete da Silva Fernandes.
Une expérience de super 8 au Mozambique ou « Comment filmer la liberté ? »

En septembre 1977, Jean Rouch et Jacques d’Arthuys, alors attaché culturel de l’Ambassade de France au Mozambique, réalisent Makwayela, film d’école, tourné à Maputo avec/en présence d’élèves de l’Institut National du Cinéma mozambicain. L’expérience est un succès, et s’ensuit quelques mois plus tard un accord de coopération audiovisuelle entre le Mozambique et le Ministère des Affaires Etrangères français pour la réalisation d’un atelier de cinéma super-8 au Centre d’Etudes et de Communication de l’Université Eduardo Mondlane. Expérience pionnière en Afrique, l’atelier fait des prouesses mais une fois terminé, les autorités mozambicaines refusent que les copies des films quittent le pays et accusent les français d’avoir utilisé les mozambicains comme « cobayes ». Cette communication essayera de poser des éléments afin de comprendre comment et pourquoi une expérience d’ordre cinématographique se termine en imbroglio diplomatique.

Historienne de formation, Elisabete da Silva Fernandes est actuellement étudiante  en Master 1 d’Etudes Cinématographiques à Paris 7 dont le mémoire de recherche porte sur le cinéma mozambican post-colonial. Elle est également depuis décembre 2006, programmatrice du Rendez-vous Mensuel du Cinéma Lusophone organisé chaque au cinéma Studio des Ursulines à Paris.

Ros Gray.
The Vanguard of the World: Mozambican Cinema and the turn to Militancy in African Liberation.

Cette communication propose de situer la culture cinématographique singulière générée par la Révolution mozambicaine dans le centre d’un mouvement trans-national qui chercha à décoloniser l’image en mouvement et atteler le cinéma à la cause de l’émancipation africaine. Celle-ci est indissociable d’un tournant militant de plus en plus répandu dans le continent africain et comprenant la « libération » comme un « acte de culture », dans les mots d’Amílcar Cabral. L’expérience cinématographique au Mozambique généra des nouveaux concepts, des nouvelles formes et des nouvelles stratégies, bien que ceux-ci ont rarement été articulés théoriquement. J’essaierai de cartographier les liens entre pratique de réalisation, politiques nationales et internationales de l’image en mouvement et théories politiques et culturelles anti-colonialistes. J’explorerai la façon dont le cinéma dans le Mozambique révolutionnaire a incarné, en termes esthétiques ou de production et distribution, des nouvelles formes d’internationalisme allant au-delà des modèles de la Guerre Froide.

Théoricienne, chercheuse et enseignante, Ros Gray enseigne les Critical Studies au Goldsmiths College et est directrice de la recherche dans le département Curating Contemporary Art du Royal College of Art. Sa recherche évolue autour du cinéma militant et de ses réseaux globaux ; de l’écran comme site de rassemblement ; et de la théorie anti-coloniale et post-coloniale. Elle prepare des contributions pour les livres Building an African Presence in the World in the Twentieth Century (co-édité par Mamadou Diouf et Jinny Prais 2011) et Moving Images of Postcommunism (édité par Lars Kristensen 2011), ains qu’une monographie, The Vanguard of the World: Cinemas of the African Revolution.

Olivier Hadouchi.
La lutte d’indépendance de l’Afrique lusophone vue par le Festival Panafricain d’Alger de 1969.

Festival Panafricain d’Alger de William Klein est un film de commande tourné à Alger en juillet 1969, durant le festival du même nom, à l’heure où plusieurs colonies sous domination portugaises luttent encore pour leur indépendance, tandis que le régime d’apartheid en Afrique du Sud n’a pas encore été aboli. Ce film ayant mobilisé plusieurs équipes de tournage, venues immortaliser diverses rencontres politiques et divers événements musicaux (danses, concerts, représentations théâtrales) de l’été 1969, coordonne aussi un grand nombre d’images d’archives, de films antérieurs consacrés aux luttes de libération et aux décolonisations africaines. Un grand nombre de documents visuels proviennent de témoins (journalistes reporters, photographes, cinéastes) . Ainsi, nous reviendrons sur cette manière d’articuler différentes images tirées de situations plus ou moins communes, en nous demandant quelle est la place des décolonisations d’Afrique lusophone dans Festival Panafricain d’Alger. Plusieurs leaders importants de mouvements de libération de Guinée-Bissau et du Cap Vert (PAIGC), d’Angola (MPLA) ou du Mozambique (FRELIMO) interviennent directement, citons Amilcar Cabral, Agostinho Neto ou Mario De Andrade, et la cinéaste Guadeloupéenne Sarah Maldoror a notamment participé à l’élaboration du film de William Klein. En sachant que Festival Panafricain d’Alger a été redécouvert récemment, et n’a jamais bénéficié d’une large diffusion en Afrique, en Europe, en Amérique Latine ou aux États-Unis, on peut se poser la question suivante : que reste-t-il de ces image de luttes d’indépendance ou anti-impérialistes de l’Afrique lusophone aujourd’hui ?

Doctorant à l’Université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, Olivier Hadouchi rédige actuellement une thèse sur les cinémas de libération à l’heure de la Tricontinentale (de 1945 à 1975). II a collaboré à plusieurs revues (Calamar, Cinéastes, Cinéfabrika, CinémAction…) et participé à des colloques et des journées d’études. Il a édité Resistance[s] III (une compilation en DVD de films et vidéos du Maghreb et du Moyen Orient) et il est l’auteur de Kinji Fukasaku : un cinéaste critique dans le chaos du XXème siècle (Harmattan, 2009).   

François Lecointe.
Les éléphants du bout du monde.

Avec Loin du Vietnam en 1967 commence une aventure cinématographique, articulant la réflexion sur le medium cinématographique et son utilisation dans le cadre d’un cinéma de propagande/information, et la fabrication du film. A la base de ce projet, Chris Marker se lance corps et âme dans une aventure collective à travers la coopérative SLON où les relations entre les luttes ouvrières et les luttes tricontinentales sont constantes à travers notamment la série On vous parle… du Chili, du Brésil, de Prague, de Flins… Cette série porte en elle une conception des rapports entre l’art et la politique où le cinéma ne raconte pas des histoires, mais fait l’histoire. Cette expérience de contre-information trouve son aboutissement dans le montage du Fond de l’air est rouge où Chris Marker essaya « de rendre au spectateur, par le montage, “son” commentaire, c’est-à-dire son pouvoir. ». Le geste markerien est à cet égard déterminant ; en repoussant les limites du langage cinématographique, en provoquant la rencontre entre le filmeur et le filmé par le regard, Chris Marker va faire œuvre politique.

Diplômé de Sciences-Po Grenoble, François Lecointe et professeur d’histoire-géographie, certifié en cinéma audiovisuel et chargé de cours à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble. Doctorant à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, il prépare une thèse au sein du Centre de recherches historiques sur les rapports entre l’écriture historique et l’écriture cinématographique, sous la direction d’Arlette Farge. Spécialiste de Chris Marker, il a publié plusieurs articles sur ce dernier, Alain Resnais, Armand Gatti, l’histoire de la critique cinématographique, ainsi que sur Pierre Bourdieu et la didactique de l’histoire.

Sarah Maldoror. Née en 1938, Sarah Maldoror est une cinéaste française d’origine guadeloupéenne, figure de proue du cinéma africain et du cinéma antillais. Membre fondatrice de la troupe de théâtre Les Griots, Maldoror étudie le cinéma au VGIK à Moscou. Son premier documentaire, Monagambé (1969), porte sur les tortures en Algérie et lui fit remporter plusieurs prix ; Sambizanga (1972) a été primé à Carthage. Ses films illustrent les luttes de libération en Afrique depuis 1971.

Lúcia Ramos Monteiro.
Passages d’images.

Cette communication a l’objectif d’analyser la circulation des images dans le cinéma mozambicain, plus particulièrement des images produites à la période entre les luttes d’indépendance et les premières années de Mozambique indépendant. Dans le contexte de l’art contemporain, ces passages d’images caractérisent la reprise de films dans des installations vidéo (c’est le cas notamment de Pour Mozambique, de Ângela Ferreira, de Off Screen Project, de Catarina Simão, et de Muidumbe, de Raquel Schefer). Il est possible que, dans le cas mozambicain, les racines de ce phénomène – que du reste est propre aux images dont la vocation est le mouvement – se situent dans les échanges visuels fréquents entre des films n’ayant (presque) jamais atteint une vraie distribution commerciale, tels que Deixem-me ao menos subir as palmeiras (Joaquim Lopes Barbosa, 1972), 25 (José Celso Martinez Correa et Celso Lucas, 1975) et Mueda, memória e massacre (Ruy Guerra, 1979).

Lúcia Ramos Monteiro est doctorante en cinéma à l’Université Paris III, en co-tutelle avec l’Université de São Paulo, sous la direction de Philippe Dubois et Ismail Xavier. Elle est titulaire d’une maîtrise en Communication Sociale à l’Université de São Paulo ainsi que d’un master en Cinéma à l’Université Paris III. Elle a publié des articles portant sur la relation entre cinéma et art contemporain, étant une des coordinatrices du volume Oui, c’est du cinéma (Udine, Campanotto Editore, 2009, co-dirigé par Philippe Dubois et Alessandro Bordina). Elle est membre du Silo (lesilo.org).

Raquel Schefer.  
Reconstitutions : autour de « Mueda, Memória e Massacre ».

Mueda, Memória e Massacre (1979) du cinéaste Ruy Guerra, mozambicain naturalisé brésilien, produit par l’INC (l’Institut National du Cinéma), est considéré le premier long-métrage de fiction du Mozambique indépendant. Le film aborde un événement lié à l’histoire du Mozambique, le Massacre de Mueda (1960), en inscrivant et fondant historiquement la mémoire cinématographique du processus de décolonisation. En conjuguant le tournage d’une reconstitution théâtrale populaire du Massacre de Mueda avec la représentation du quotidien dans le tout nouveau pays, la construction diégétique et formelle du film de Guerra révèle une complexe conception intertextuelle de la narrative historique et de l’objet filmique en tant que forme de représentation de l’histoire et donne un sens nouveau, en les débordant, aux stratégies de reconstitution cinématographique. Dans cette communication, j’aimerais analyser la façon dont cette « fiction de mémoire », pour reprendre une notion de Jacques Rancière, articule visuellement la relation entre mémoire et histoire et travaille la question de la reconstitution dramatique du Massacre de Mueda, fondée sur un processus de fictionalisation de la mémoire.

Raquel Schefer (Porto, 1981) est réalisatrice et doctorante en Études Cinématographiques à l’Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3, où elle prépare une thèse sur la représentation cinématographique de l’histoire, sous la direction de Philippe Dubois. Elle a publié en Argentine le livre El Autorretrato en el Documental (L’autoportrait dans le documentaire, 2008), résultat de sa thèse de Master en Cinéma Documentaire. Ses courts-métrages ont été présentés dans différents festivals et expositions. Sa première exposition individuelle a été inaugurée en juin à Santander, en Espagne. Son court-métrage “Avó (Muidumbe)” a reçu le prix du meilleur film du Festival FUSO (Festival International d’Art Vidéo de Lisbonne). Pour en savoir plus, veuillez consulter le site-web www.raquelschefer.com.

Catarina Simão.  
Hors-champ. Autour des archives cinématographiques du Mozambique.

Depuis les débuts des années 1960 que le cinéma mozambicain a à la fois joué le rôle de témoin et de participant actif dans l’histoire de l’indépendance nationale. Une grande partie de la collection des archives cinématographiques mozambicaines transmet des messages idéologiques, consolide des mesures sociales et économiques et relate la violence, l’oppression et les menaces impérialistes. Le projet de recherche Off Screen (Fora de Campo) – on the Mozambique Film Archive suivit, pendant un an, la première étape de restauration de ces archives par l’Institut Portugais de Soutien au Développement. Un pays dont les frontières avaient été dictées par les intérêts coloniaux cherche dans un projet idéologique unificateur. Le cinéma était à la fois l’acteur et le documentaliste de ce processus. Qu’est-ce que ces archives nous révèlent sur un cinéma auto-documentaire ? Comment approcher aujourd’hui ces archives de et du pouvoir ?     

Catarina Simão est une architecte et chercheuse indépendante basée à Lisbonne. Ses travaux de recherche concernent les « situated knowledges », la diaspora et les archives. Elle a dirigé la Fundació 30km/s à Barcelone et organisé l’évènement Luso-Phonia (2008). Depuis 2009, elle développe le projet Off Screen (Fora de Campo) – on the Mozambican Film Archive (résidence artistique à l’Atelier Re.al, Lisbonne ; Musée de Serralves, Porto ; 1st  Mozambican Cinema Symposium, Univ. Eduardo Mondlane, Maputo; Manifesta 8, Murcia). Elle a cofondé le groupe de recherche PIE - Performance & Image Exploration (2011).

Cédric Vincent.
Luttes festivalières dans l’Afrique des années 1960-70 .

Dans une perspective programmatique, cette présentation s’attache au rôle pivot joué par les festivals dans le développement de mouvements culturels et politiques fondateurs en Afrique des années 1960 à nos jours. Trop souvent réduit à un rôle de célébration et de divertissement, ils ont été négligé comme lieux de concentration et de médiation entre créateurs et décideurs d’une part et audiences d’une grande hétérogénéité d’autre part, ces événements ayant été aussi des caisses de résonance diffusant dans l’espace public des idées précédemment confinées aux élites. Véritables nœuds, dispositifs représentationnels et relationnels, les festivals de Dakar (1966), Alger (1969), Lagos (1977) et Kinshasa (1974) se trouvent au cœur de mouvances qui ont eu un impact fondamental, à travers le monde, sur la structuration d’Etats-nation en devenir. Il s’agit de penser les festivals comme des acteurs à part entière dans la structuration de formes politiques et esthétiques au sein d’Etats nouvellement indépendants et, simultanément, comme témoins d’une transition, souvent violente entre les années enthousiastes des Indépendances et celles de crise (montée des dictatures, explosion de guerres civiles), qui leur ont souvent fait suite et mené au repli sur soi et à la désillusion.

Anthropologue (EHESS) et critique d’art, Cédric Vincent dirige actuellement un projet de recherche sur les festivals panafricains. Son travail a fait l’objet de nombreuses publications, à la fois dans des revues (art press, art21, Parachute, Springerin, Sarai Reader) et des catalogues (Africa Remix, Indian Summer, Raqs Media Collective, Conspire!).    

Présentation des films.

Scenes from the Class Struggle in Portugal (1977, 85 min), Robert Kramer.
Réalisé entre 1974 et 1976 et combinant  interviews, archives photographiques et narration analytique, ce documentaire met en parallèle les efforts antifascistes et anti-impérialistes de la classe ouvrière au Portugal sous le régime de Salazar, et ceux des mouvements des droits civiques aux États-Unis et en Afrique du Sud, accentuant ainsi la similarité de leurs luttes.

Behind the Lines (1971, 53 min), Margaret Dickinson.
Rassemblant images d’archives et nouvelles images, Behind the Lines rend compte des luttes contre le régime colonial au Mozambique. Réalisé avec le soutien du mouvement de libération mozambicain FRELIMO, ce film offre un portrait unique des luttes militaires de FRELIMO et du peuple mozambicain s’essayant à la vie coopérative et mettant en place leur propres institutions à la veille de la décolonisation de leur pays.

Black Liberation (1967, 38 min), Edouard de Laurot.
Black Liberation est une évocation expressioniste du Black Panther Party for Self Defence, concevant New York « assiégée par la révolte, un champ de manœuvres appartenant à la gueriilla urbaine, un camp d’entraînement pour les Black Panthers » (Nicole Brenez). «  Plutôt qu’une reconstitution de l’histoire a posteriori, ce film a été conçu comme un acte d’engagement dans le processus historique. » (Edouard de Laurot, préambule du film).

Remerciements: tous les participants, ainsi que Filipa César, Philippe Dubois,  Alfredo Jaar, Muriel Lardeau, Benjamin Léon, Manuel Santos Maia, Raquel Schefer.  

15.06.2011 | par martalanca | cinema