Annett Stenzel’s g´(Silence Song)

Stills from g'(Silence Song), vue de l'exposition Art Teleported, New York, 2020Stills from g'(Silence Song), vue de l'exposition Art Teleported, New York, 2020L’épisode G du film en huit séries « Silence Song » de la réalisatrice allemande Annett Stenzel intrigue autant dans sa forme, ses images, sa bande sonore que sa narration. En effet, le film éveille en nous les pensées les plus philosophiques et anthropologiques. Plus particulièrement il nous est venu à la visualisation du film une réflexion sur un certain centrisme ainsi qu’une réflexion quant à la problématique de la compréhension des productions expérimentales. Selon notre compréhension qui, nous l’espérons, ne paraîtra pas prétentieuse aux lecteurs, ce film réalisé par une artiste occidentale ayant expérimenté la vie en Iran entretient un rapport étroit avec l’idée d’échange culturel. C’est ce point qui rejoint notre intention de proposer une manière de voir le film qui soit d’une certaine manière moins « centrique » ou du moins plus multiple.

Le fait de classifier ce film dans la catégorie « film expérimental » rend en quelque sorte sa présentation via la restitution de son synopsis moins pertinent. En effet, présenter un film en présentant son histoire peut correspondre à un certain besoin occidental de restituer la logique et la structure d’un film. Pour notre part, nous aimerions néanmoins présenter ici le film également de manière fragmentée en mettant l’accent sur certains détails sans tenir compte d’une logique globale. Nous considérons cette manière fragmentée de voir un film comme reflétant les habitudes d’une classe sociale basse cantonaise.

Pour le présenter malgré tout d’abord classique et en nous basant sur son synopsis, nous pouvons dire que le film met en scène une jeune femme jouant au piano la gamme de Do Majeur dans différentes octaves entre lesquelles s’installe dans les espaces de silence sa propre et originelle chanson. Au travers des variations de tons au piano, se développe entre les figures du film des schémas de relations et de manière d’être en collectif autant créatives que libérées qui proposent au long des huit épisodes du film de nouveaux regards sur les figures féminines du film autant qu’ils offrent à voir le regard personnel de ces femmes.

Quand on se penche sur certains détails du film, celui qui nous paraît le plus remarquable est l’association d’images d’animés japonais avec des scènes en noir et blanc qui montre des payasages exotiques japonais. Une autre association intéressante avec le « Japon du film » est celle qui, à la fin de son premier tier, met en scène trois femmes positionnées en triangle, scène qui peut faire penser aux compositions en triangles récurrentes dans les films du réalisateur japonais Akira Kurosawa bien que son origine soit à chercher dans l’art occidental. Ce genre d’images fait écho à notre obsession personnelle entièrement anthropologique qui consiste à repérer les mécanismes d’exotisation dans les productions visuelles. Dans la première scène du film, la courte apparition du serpent et du garçon extraite d’un animé japonais nous semble également refléter l’importance que l’imaginaire et les contes peuvent avoir dans les différentes cultures et particulièrement dans la culture allemande et japonaise.

Stills from g'(Silence Song), vue de l'exposition Art Teleported, New York, 2020Stills from g'(Silence Song), vue de l'exposition Art Teleported, New York, 2020Ces deux détails de scènes japonaises soulevés dans le paragraphe précédent nous amènent à la discussion de la problématique de la compréhension des productions visuelles expérimentales. Il est naturel de chercher à comprendre ce que l’on voit, et chaque culture possède ses propres logiques et manières de comprendre qui diffèrent entre elles. Les films expérimentaux, en ce qu’ils proposent de raconter les choses de manière alternative et non-conventionnelle, permettent en quelque sorte de se libérer des mécanismes de compréhension de sa propre culture et de s’ouvrir à une autre manière de percevoir les choses. De plus, les films expérimentaux, en ce qu’ils laissent la voie libre à l’interprétation, favorisent l’échange entre les compréhensions des différents spectateurs s’enrichissant ainsi de la manière de voir des autres.

Ces discussions que font naître les films expérimentaux et l’enrichissement qu’elles permettent participent à ce que nous appelons la multiplication des « centrismes ». Un film est un moyen de communication, et selon ce principe il semble intéressant de collecter différentes compréhensions afin d’enrichir sa propre vision, et c’est précisément ce que la liberté d’une production visuelle expérimentale permet. Cette collecte est d’autant plus intéressante qu’elle regroupe des compréhensions venant de spectateurs de cultures différentes. C’est en ce sens que le fait que la réalisatrice ait étudié les langues orientales - notamment le persan - et qu’elle soit grandement intéressée par la culture japonaise participe à la création de la multicentricité que le film propose et dans laquelle chaque spectateur peut se plonger, se noyer et ressortir plus riche qu’il n’en est entré.

L’article fait partie de la publication en anglais Into the Clouds: New Media Art 2021 du musée du Czong Institute for Contemporary Art en Corée du Sud. Cet article a d’abord été écrit en français.

par Cheong Kin Man et Mathilde Denison
Afroscreen | 28 janvier 2021 | allemande, Annett Stenzel, cinéma, film, silence song