Le Cine-Banlieue de Dakar: des Jeunes Créent un Cineclub à Pikine

Au but des années 50, la ville de Dakar souffre de surpopulation. L’Etat colonial décide de déplacer les familles des quartiers populaires de Dakar: il s’agit alors de véritables “déguerpissements” dans le cadre des projets d’aménagement urbain. On crée le Département de Pikine qui regroupe “tous les exclus de Dakar”. On y compte aujourd’hui près d’un million d’habitants: on parle de “Pikine-Pékin”.

Cine-clube PikineCine-clube Pikine

Au but des années 50, la ville de Dakar souffre de surpopulation. L’Etat colonial décide de déplacer les familles des quartiers populaires de Dakar: il s’agit alors de véritables “déguerpissements” dans le cadre des projets d’aménagement urbain. On crée le Département de Pikine qui regroupe “tous les exclus de Dakar”. On y compte aujourd’hui près d’un million d’habitants : on parle de “Pikine-Pékin”.

La ville de Pikine doit faire face à de graves problèmes d’assainissement, à cause du manque de canalisations d’évacuation des eaux usées et des eaux de pluie. L’eau pénètre dans les maisons au point que les familles mangent, dorment, vivent les pieds dans l’eau pendant des mois. Lors du dernier hivernage, certaines familles ont été obligées de se déplacer temporairement dans des tentes de secours. Elles ne pourront retourner dans leur maison qu’à la saison sèche. Certaines demeures ont été d’ailleurs abandonnées : l’eau a envahi les cours, en créant des piscines recouvertes d’algues vertes, avec tout ce que cela comporte pour la santé des habitants.

Aux abords de Pikine, d’autres localités abritent des milliers d’habitants : Tounde Ndargou, Dalifor, Hann-Montagne, Dagoudane Pikine, Guinaw-Rails et Thiaroye-sur-mer.

Le village de Thiaroye est encore célèbre pour l’histoire d’un massacre durant la guerre 40-45, celui des “tirailleurs sénégalais” (environ 1300 soldats africains) qui exigeaient leur pécule et leur prime de démobilisation. En 1944, l’armée française donne l’assaut au Camp de Thiaroye. Les survivants furent condamnés à des peines de prison.

Le Camp de Thiaroye, le véritable décor du film homonyme d’Ousmane Sembene, est devenu un marché depuis l’an 2000. Les jeunes se plaignent. “On aurait voulu conserver notre patrimoine historique” répliquent-ils.

Dans la localité de Guinaw-Rails (littéralement “derrière la voie ferrée”), les habitants doivent traverser quotidiennement des rivières d’eaux usées, car la station de pompage est insuffisante et ne fonctionne que pendant la saison des pluies. Les habitants se solidarisent et évacuent l’eau manuellement à l’aide de pelles, de tuyaux en caoutchouc, et d’une motopompe achetée par la population. La “loi de la débrouille” est la règle en vigueur, c’est une question de survie.

La prise de parole par le cinéma : Séni

La banlieue est le lieu de tournage par excellence des jeunes du ciné-banlieue. Séni raconte l’histoire d’un “élève terrible”, Séni Fall, qui a grandi dans le “ghetto”. Au bout de sa deuxième année d’université, Séni doit faire face à la précarité : il n’a plus d’argent pour s’inscrire. Alors, dit-il, “la rue nous récupère et nous oriente.” Son histoire de vie est celle de la plupart des jeunes de Pikine. Séni nous parle de la marginalité et de la quête d’identité dans une société où tout est question de combat.

Il s’agit de la première réalisation collective de ciné-banlieue, une association née de la passion du cinéma de jeunes amateurs, ces “jeunes désœuvrés qui se retrouvent au bord de la théière.” C’est un cinéma imprégné de résistance et de révolte.

En 2007, Khouma réalise son premier film documentaire sur les inondations - Entropie - à l’aide d’une camera tri CCD, prêtée par l’association française Jonathan venue enseigner aux jeunes les rudiments de l’informatique. “J’ai appris avec cette expérience qu’il ne suffisait pas d’avoir une caméra pour faire un film. Il faut réfléchir avant de filmer.”

Khouma a été parmi les premiers du ciné-banlieue à quitter son quartier pour participer aux projections de films dans le centre de Dakar. “On nous prenait pour des fous, on allait jusqu’au centre ville pour assister aux films au Centre Culturel Français ou au Goethe Institut, alors qu’il y a des films à la télévision !”

Après quelques temps, les jeunes ont décidé de contester le monopole de la ville. Le prix du transport et la distance pour accéder aux rares salles de la capitale ont mené Khouma et Demba à vouloir amener le cinéma… dans la banlieue. La rencontre avec un ami allemand a permis la première projection. “Le jour où il est venu nous rendre visite à Pikine, les gens ont commencé à croire en ce que l’on faisait.”

Une histoire de passion

Le ciné-banlieue naît aussi grâce à la passion militante du Professeur Abdel Aziz Boye, réalisateur et formateur à l’Ecole Supérieure Polytechnique de l’Université Cheick Anta Diop de Dakar. Il voit le jour dans son bureau, lieu de discussions animées autour du cinéma. Les autorités de l’université sont au courant, “mais il n’y croient pas vraiment”, selon lui.

En 2008, des cours d’initiation au cinéma ont lieu à Guédiawaye, dans le centre socioculturel de la municipalité. Il rassemble des jeunes venant des environs: Guédiawaye, Guinaw-Rails, Keur Massar, Mbao. Le message qui passait de bouche-à-oreille parmi les jeunes était : “Il y a un utopiste appelé M. Boye qui donne des cours de cinéma !”

Depuis un an, le ciné-banlieue s’est installé au Complexe Culturel Léopold Sédar Senghor de Pikine. Au programme pour le moment, exclusivement du cinéma sénégalais : entre autres, Sembene Ousmane et Djibril Diop Mambéty.

Au ciné-banlieue, tout est réalisé de façon informelle, dans une salle improvisée, parce ce qui importe c’est la discussion, la réflexion, et la découverte. “On ne compte que sur nous-mêmes”, confie le Professeur.  Un système de cotisation a été mis en place : solidarité, partage et échange font survivre le cinéclub.

Pour l’instant, les films sont rares et le public encore inexistant. C’est un lieu de travail et de recherche. Chacun développe son projet, le partage avec les autres, sous la direction du Professeur Boye.

Pour la première fois, le 13 février 2010, ciné-banlieue organise une grande projection publique de Séni, sous la présence des autorités municipales. Par la voix de l’image, les jeunes affirment leur démarche : ils ont leur mot à dire sur leur quotidien, leur lutte, et leurs rêves.

 

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Projets cinématographiques du ciné-banlieue:

Les scénarios en cours d’écriture:

  • Nouyo Mouride, de Mouhamed Siradji Sow
  • Le Messager de la Foi, de Moussa Fall
  • Le Poète errant, de Cheick Ahmadou Bamba Diop
  • Sous la fenêtre de Grand Makhaly, de Pape Lopy
  • Murmure, de Charles Seck
  • Naal, de Mamadou Khouma Gueye
  • Un monde différent, de Ngima Badji

Les films en cours de montage:

  • El Fenomeno (Le Lutteur), de Demba Dia
  • Mbedmi (La Rue), de El Hadji Babacar Diallo
  • Du husteling à l’entertainement, de Mamadou Khouma Gueye, Makhfouse Diop et Demba Dia

Les films réalisés:

  • Entropie a Guinaw-Rails de Mamadou Khouma Gueye
  • Daouda, Sounay, Saly de Kady Diedhiou
  • GR 89/09, de Makhfouse Diop et Mamadou Khouma Gueye
  • Séni, de Mamadou Khouma Gueye

par Rosa Spaliviero
Afroscreen | 14 avril 2010 | banlieu, cinéma, Dakar, jeunesse