Archetypes et caricatures du noir dans le cinéma brésilien

chapitre du livre Le noir brésilien et le cinéma (Pallas, Rio de Janeiro, 2012) João Carlos Rodrigues


Dans Le folklore noir au Brésil (1935), l’anthropologue Artur Ramos a noté que certains orixás (dieux du panthéon afro-brésilien) « sont entrés dans le folklore et maintiennent un contact étroit avec l’imagination populaire, contact magique et familier, car ils survivent comme symboles de complexes individuels. » (Voir à ce respect le documentaire Santo forte, 1999, de Eduardo Coutinho, òu citoyens parfaitement normales « parlent » avec les êtres surnaturels). Ces archétypes sont bien détaillés par Pierre Fatumbi Verger dans le livre Orixás (1981), dont la classification des qualités et défauts de ces divinités révèle plus d’une dizaine de personnalités. Elles surgissent tant dans le candomblé (la religion africaine transplantée des royaumes Yoruba pour le Nouveau Monde) que dans l’umbanda (syncrétisme de candomblé, catholicisme, kardécisme, cultes indigènes et bantous).

Une autre famille de types provient de l’imagination du blanc et appartient à une extraction plus récente. Ils viennent de l’époque de l’esclavage, ou sont encore en formation dans l’inconscient collectif brésilien.

En 1988, j’ai établi une classification des archétypes et caricatures du noir dans le cinéma brésilien, inspirée par la pièce Les nègres de Jean Genet, elle même inspirée dans le film de Jean Rouch Les maîtres fous, et par l’œuvre de Verger. Le livre et le film de Joel Zito Araujo, La négation du Brésil (1999), qui traite de la même thématique à la télévision, ont confirmé que j’étais sur la bonne voie. Dans la fiction brésilienne, au cinéma ou en dehors, tous les personnages noirs appartiennent à une de ces classifications, ou sont un mélange de plus d’une d’entre elles.

 

Les Vieux Noirs

 

Ils descendent des griots de l’Afrique Occidentale, qui maintiennent la tradition orale à travers des contes, des légendes et des généalogies. L’écrivain Gilberto Freyre a connu dans les plantations de Pernambouco de vieilles femmes noires conteuses d’histoires, qui se déplaçaient de fazenda en fazenda, pour le plus grand plaisir des enfants. Le folklore signale les Histoires de Père Jean et Mère Maria du temps de l’esclavage. On trouve un équivalent aux Etats-Unis avec les Histoires de l’oncle Remus, transformées par Walt Disney en 1946 dans le film Chant du Sud. “Les Vieux Noirs”, des deux sexes, sont courants dans le culte de l’umbanda ; dans le candomblé, la vieille déesse Nanã et le vieil Oxalá (Oxalufã) présentent bon nombre de leurs caractéristiques (sagesse, indulgence, dignité).

Une autre source vient des personnages de la littérature, dont la principale est la Tante Nastácia de la collection infantile de Monteiro Lobato commencée en 1921, et adaptée plus d’une fois à la télévision et au cinéma. Une mini série télévisée consacrée au sujet a été interdite en Angola et au Mozambique où elle a été considérée comme une caricature péjorative de la négresse soumise. “Les Vieux Noirs” apparaissent dans la fiction brésilienne comme essentiellement conformistes, en opposition au militant noir.

 

La Mère Noire

 

C’est un archétype issu de la société esclavagiste, où il était commun que le fils du patron blanc soit allaité par une esclave noire. Très célébrée dans les poèmes sentimentaux, et présentée comme une femme résignée et soumise, ce qui la rapprocherait des “Vieux Noirs”. En 1860 déjà, la pièce de théâtre Mère de José de Alencar aborde un de ces êtres d’abnégation, qui préfère se suicider plutôt que de nuire au bon mariage de son fils de lait. Les souffrances de Maman Dolores sont du même type dans Le droit de naître, feuilleton radiophonique cubain de Félix Caignet des années 40, succès faramineux au Brésil, où il a été adapté deux fois à la radio, trois fois à la télévision et une fois au cinéma.

Le sous texte est évident : pour être bien acceptés par la société dominante, les fils blancs doivent renoncer à leurs “Mères Noires”, qui les maintiennent prisonniers d’un passé qui doit être oublié. Personnage à très forte tonalité mélodramatique, la “Mère Noire”, n’est pas très commune dans le cinéma brésilien moderne. Elle est bien plus présente dans les feuilletons télévisés.

 

Le Martyr

 

Le “Martyr” apparaît toujours dans la fiction brésilienne qui traite de l’époque esclavagiste, et certaines victimes ont été mythifiées par la population, comme le Petit Berger Nègre ou l’esclave Anastácia. Tous deux ont été sujets de films et de programmes pour la télévision.

Le Petit Berger Nègre est apparu dans le Rio Grande do Sul, province qui a une frontière commune avec l’Argentine : pour avoir perdu le troupeau du maître, l’enfant a été attaché à une fourmilière et dévoré vif, jusqu’à ce que la présence de la Vierge Marie révèle son innocence.

L’esclave Anastácia est plus récente. Pour des raisons que même la sociologie ne peut expliquer, une gravure du Hollandais Rugendas, datée du XVIIIème siècle, a subi une métamorphose surprenante dans l’inconscient collectif de Rio de Janeiro. La foi populaire l’a transformée en une représentation d’une esclave thaumaturge fictive, princesse africaine (aux yeux bleus), punie jusqu’à ce que mort s’ensuive en raison de son insoumission. En dépit de l’opposition de l’Eglise Catholique, le culte a augmenté sans qu’on ait pu le contrôler et aujourd’hui Anastácia est célébrée dans le pays entier.

 

Le Noir à l’âme blanche

 

Il s’agit du nègre qui a reçu une bonne éducation et qui, à travers celle-ci a été (ou souhaite être) intégré dans la société dominante. Francisca da Silva est un personnage historique qui pourrait représenter cette catégorie : ex esclave, amante d’un haut fonctionnaire de la couronne portugaise dans la région de Minas Gerais au 18ème siècle, elle s’est battue pour intégrer la haute société. Elle a été immortalisée dans l’imaginaire populaire par le long métrage Xica da Silva (1976) de Carlos Diegues, grand succès de cinéma.

“Le Noir à l’âme blanche” apparaît aussi comme un intellectuel déraciné, distant de son origine humble, et rejeté (ou tourné en dérision) par les blancs. En dehors de la fiction, deux poètes du 19ème siècle ont expérimenté cette terrible réalité : Tobias Barreto et Cruz e Souza. La vie de ce dernier a été mise en scène par Silvio Back en 1999 dans le film Le poète du Desterro. Dans un film important, mais peu connu de José Carlos Burle, Nous sommes aussi frères (1949), l’avocat et protagoniste résume de façon exemplaire toutes ces caractéristiques, ainsi que le journaliste du film d’Antunes Filho, Mesure de l’attente/Compasso de espera (1973) : ni l’avocat, ni le journaliste appartiennent à ces deux mondes, vivant dans les limbes de l’incertitude. Les films dont Pelé, le roi du football, est le héros principal, présentent des traits identiques. Ses personnages didactiquement « positifs » sont toujours très éloignés de la réalité quotidienne de la majorité des noirs brésiliens.

Cette ambiguïté fait que le “Le Noir à l’âme blanche” est perçu par les militants comme un « traître » qui a choisi le chemin de la libération individuelle, mais aussi repudié par la societé blanche, qui le ridicularise. Il possède un grand potentiel dramatique, encore peu exploité dans la fiction brésilienne.

Xica da Silva (1976)Xica da Silva (1976)

Le Noble Sauvage

 

  “Le Noble Sauvage” possède beaucoup de qualités attribuées par Pierre Verger au jeune Oxalá (Oxaguiã) : dignité, respectabilité, force de volonté. Il n’est pas conformiste comme “le Vieux Noir”, ni ambigu comme “Le Noir à l’âme blanche”. Le cinéma brésilien est riche de nombreux personnages présentant ces caractéristiques.

Prenons, par exemple, le film de Carlos Diegues, Quilombo (1985), où nous voyons des personnages presque surhumains, chargés de conduire leur peuple au combat pour la libération. A l’opposé, nous avons l’attitude du protagoniste de Chico Roi (1985) de Walter Lima Junior, inspiré d’une légende du 18ème siècle. Dans ce film, le souverain, prisonnier avec sa tribu, achète la liberté avec son travail dans les mines d’or, puis celle de ses sujets, un à un, dans une leçon de solidarité.

 

Le Noir révolté

 

“Le Noir révolté” est une variante belliqueuse du “Noble Sauvage”. Au Brésil, le meilleur exemple en est Zumbi, dernier gouverneur du Quilombo de Palmares, dont les terrains, au 17ème siècle, ont résisté pendant de nombreuses décennies aux Portugais. Sa saga demi légendaire est enseignée dans les écoles ; on la retrouve dans des chansons, des pièces de théâtres, des mini séries pour la télévision et au cinéma. 

Il y a de nombreux exemples de cet archétype dans les films historiques traditionnels. La majorité traite des fuites des plantations, généralement après l’assassinat d’un chef aux mauvaises intentions qui martyrise un innocent. C’est ce qui arrive dans Mademoiselle/Sinhá moça (1953) et La marche (1972) sans parler du déjà cité Quilombo. La liberté, dans tous ces films, est une utopie politique, et “le Noir révolté”, par conséquent, un personnage utopique condamné à l’échec.

L’équivalent contemporain du noir réfugié dans un quilombo est le militant politisé. L ‘exemple le plus ancien se trouve dans la pièce Sortilège (1953) d’Abdias Nascimento. Il n’y a aucun équivalent aussi direct et incisif dans le cinéma brésilien. Il n’y a aucun film important sur la campagne de l’abolition qui a duré 60 ans, et où se sont fait remarquer de grands orateurs noirs, comme Luiz Gama et José do Patrocínio. Tout surgit dans une échelle plus modeste. Le personnage important est Firmino dans Barravento (1962) de Glauber Rocha, qui de retour d’une grande ville, s’oppose délibérément aux autres noirs, des pêcheurs sous développés. A la fin, il est personnellement perdant, mais politiquement victorieux, car il casse les superstitions qui aidaient l’exploitation économique. Dans Mesure de l’attente, nous trouvons, entre autres coadjuvants, un militant plus cosmopolite, influencé par Marcus Garvey, et Kwame Nkrumah. Il y a une  évolution très nette de la représentation du Noir révolté depuis les origines du cinéma à nos jours.

Quilombo (1984)Quilombo (1984)

Le Noir sensuel et violent

 

Très tôt, on a attribué au noir des appétits sexuels pervers ou insatiables. Cet archétype, qui possède les caractéristiques attribuées dans le candomblé à Exú (sensualité et violence), pour sa part syncrétisé en diable par les Pères catholiques, nous l’appelons, le “Noir sensuel et violent”. C’est un violeur sanguinaire, terreur des pères de familles, le vengeur social. C’est un symbole sexuel inversé, et il peut acquérir des caractéristiques bisexuelles, voire même homosexuelles, comme l’orixá Logun-Edé, qui est alternativement homme puis femme six mois durant. 

Le protagoniste de La reine diablesse (1975) d’Antonio Carlos Fontoura, concentre en lui toutes les malédictions bourgeoises : trafiquant de drogue, assassin, homosexuel, et noir. Abandonné par tous, il meurt suffoqué dans son propre sang. Il en va de même pour le protagoniste de Madame Satã (2003) qui présente toutes ces caractéristiques, mais qui se bat pour être accepté pour la société et passe la moitié de sa vie en prison. La filmographie pornographique propose des exemples typiques de “Noir sensuel et violent” en tant que symbole homosexuel, avec des pénis de dimensions énormes et des appétits proportionnels. Voir Island fever de Kristen Bjork, et beaucuop d’autres.

Le “Noir sensuel et violent” peut ainsi être l’objet de désir des adolescents dépravés de la haute société. Dans la pièce de Nelson Rodrigues, Jolie, mais ordinaire qui a été adaptée deux fois au cinéma (1963 et 1980), la protagoniste veut être (et est) violée par une bande de “Noirs sensuels et violents”. Dans le roman Terreur et extase (1978) de José Carlos de Oliveira (tourné en 1980), la belle séquestrée s’amourache du séquestrateur, un noir pauvre et édenté. 

 

Le Malandrin

 

Le “Malandrin” est un des types les mieux représentés de cette liste. Codifié dans l’umbanda comme Zé Pelintra, un petit diable cordial, il porte l’accoutrement typique du gigolo tropical (complet blanc, chapeau de paille) et rassemble les caractéristiques de quatre orixás du candomblé : l’ambivalence et l’abus de confiance d’Exú ; l’instabilité et l’érotisme de Xangô ; la violence et la sincérité d’Ogum ; la versatilité et la vivacité d’Oxossi. Cette symbiose entre le “Malandrin” et Zé Pelintra (Seu Zé) est clairement montrée par la cinéaste Rose La Creta dans le documentaire Maître Leopoldina, la fine fleur du malandrinate (2004). 

Très tôt, le “Malandrin” est devenu personnage de théâtre de boulevard (Forrobodó – 1912) de Luiz Peixoto et Chiquinha Gonzaga. Dans la musique populaire, c’est un type immortalisé depuis les années 30 dans les sambas de Moreira da Silva, Wilson Batista, Geraldo Pereira, Zé Keti, Bezerra da Silva, Zeca Pagodinho, et d’autres. 

A la fin des années 50, trois pièces dramatiques importantes furent écrites sur lui : Pedro Mico d’Antonio Callado, Gimba de Gianfrancesco Guarnieri et Bouche d’Or de Nelson Rodrigues. Toutes ont été adaptées au cinéma, la dernière deux fois, en conservant les qualités et les défauts des originaux. Dans les deux premières pièces, le personnage est très artificiel, car les auteurs sont plus préoccupés à prouver une thèse socio-politique. La troisième est bien supérieure du point de vue de la dramaturgie, et le film de 1962, tourné par Nelson Pereira dos Santos, compte parmi les meilleurs de la décennie. Quand elles ont été mises en scène au théâtre, les rôles ont été tenus par des acteurs blancs, noircis par le maquillage. Dans les adaptations cinématographiques, seul Pedro Mico a été interprété par acteur un noir, Pelé. 

Le “Malandrin” classique a été substitué avec le temps par d’autres types plus proches de la marginalité. De Bahia de tous les Saints (1960) de Triguerinho Neto à Pixote (1980) en passant par La grande foire (1961), Vie nouvelle par hasard (épisode de Un, ça va, deux, c’est trop (1970) d’Odilon Lopez, et Partenaires d’aventure (1980) de José Medeiros, tous ont contribué à la création du panneau social ample de Cité de Dieu (2002) de Fernando Meirelles, où, armés jusqu’aux dents, les “Malandros” (maintenant bandits) se battent entre eux, et non plus contre la police.

 

L’habitant de la favela

 

La description la plus ancienne d’une favela remonte à la chronique de João de Rio, publiée en 1908 dans le journal Gazeta de Noticias. Là, nous voyons les principales qualités et défauts du type : honnête et travailleur, sambiste à ses heures perdues, humble et craignant les violences et les autorités. Presque un siècle plus tard, “l’habitant des favelas” garde encore les mêmes caractéristiques. 

Favela de mes amours (1935) d’Humberto Mauro a été un film important. Le personnage principal est un compositeur blanc qui meurt de tuberculose la veille du carnaval. Une chanson affirme que la « favela est un rêve interrompu/où habite le bonheur ». Le film a été considéré par la critique comme une référence importante pour l’aspect pionnier, à savoir filmer dans des lieux réels, loin des studios. La séquence de l’enterrement du sambiste a presque été coupée par la censure, parce qu’elle montrait « beaucoup de pauvres et beaucoup de noirs », mais a fini par être libérée. Mélange de néoréalisme précoce et d’ingénuité sociale, Favela de mes amours réunit deux tendances esthétiques et politiques antagonistes. Malheureusement le film a disparu.

La vision paternaliste et ingénue a connu son apogée avec Orphée Noir (1959) de Marcel Camus, Oscar du meilleur film étranger et Palme d’Or à Cannes, grand succès international. Inspiré de la pièce de Vinicius de Moraes et Antonio Carlos Jobim, Orfeu da Conceição (1956), ses personnages habitent la favela de Mangueira, dans un monde irréel d’allégresse, loin des problèmes sociaux, sublimé par le bonheur le plus absolu. 

En suivant une ligne réaliste, nous avons d’excellents exemples de vie dans la favela dans les deux premiers films de Nelson Pereira dos Santos, Rio 40° (1956) et Rio Zona Norte (1957). Le premier film montre le quotidien d’un groupe d’enfants pauvres qui gagnent leur vie en vendant des cacahuètes, et ses drames particuliers. Il a été interdit, mais a fini par être libéré après une intense campagne de presse. Le second aborde la vie d’un compositeur populaire noir qui meurt en tombant d’un train, en même temps qu’une de ses compositions devient un grand succès dans un programme de radio. O assalto ao trem pagador (1962) de Roberto Farias, autre film excellent, nous montre “les habitants des favelas” dans la plus complète marginalité et révolte – casseurs, assassins, alcooliques et délateurs. 

A partir des années 90 apparaît une favela bien plus complexe. Surpeuplée, ses ruelles étroites rappellent les ghettos des tsiganes et des juifs de l’Europe de l’Est avant la seconde guerre mondiale. Il s’y déroule une terrible lutte pour le pouvoir entre le trafic de drogue et l’organisation de la ville, entre les églises pentecôtistes et les cultes afro-brésiliens, entre la culture traditionnelle (samba) et la culture prolétaire globalisée (hip-hop). C’est un melting pot culturel explosif, dont le résultat consiste à rendre la justice de ses propres mains et par d’autres méthodes anti démocratiques. Il y a peu d’alternatives dans ce chaos. Et la réalité est encore pire que la fiction, comme le montrent les vidéos documentaires Nouvelles d’une guerre particulière (1999) de João Moreira Salles et Katia Lund, ou Falcão, enfants du trafic (2006) de MV Bill et Celso Athayde. 

Une variante moins innocente de “l’habitant de la favela” est le mineur abandonné, le gamin des rues, le futur marginal. Il existait déjà au cinéma depuis Moleque Tião (1943) ; il se décline de façon dramatique, avec le malheureux Norival dans Rio Zona Norte, assassiné par ses compagnons d’assaut ; il se cristallise dans le trio de protagonistes poignants de Pixote et culmine avec les enfants assassins de Cité de Dieu. 

Cidade de Deus (2002)Cidade de Deus (2002)

Le Noir fou-fou

 

Dans la commedia dell’arte, Arlequin est le personnage qui crée des embrouilles. Dans l’arène des cirques, il s’est transformé en un clown coloré, au nez rouge et aux chaussures démesurées, en opposition au clown blanc, aristocrate et au chapeau pointu, inspiré du Pierrot. Dans les vaudevilles, ces fonctions histrioniques ont été transposées aux serviteurs. Pour que cet archétype soit représenté par des Noirs au Brésil, il n’y a eu qu’un saut. 

Dans le candomblé et l’umbanda existait déjà la tradition des Erês, esprits enfantins et facétieux célébrés le jour de Saints Côme et Damien. Le folklore brésilien compte aussi le personnage du Saci Pererê, négrillon uni jambe, qui fume la pipe et aime cacher des objets. Ce fut le thème d’un film en 1953, récemment adapté pour la télévision. 

Dans les arts brésiliens, les archétypes qui recueillent ces influences européennes et africaines donnent lieu au “Noir fou fou”. Cette expression date de 1966, quand l’humoriste Sérgio Porto a composé une samba parodique sur le règlement du concours des Ecoles de Samba (qui exigeait alors des thèmes “patriotiques”) où un compositeur noir mélange toute l’Histoire du Brésil, dans la tentative de respecter cette exigence. La chanson, Samba duNoir fou fou”, a été un grand succès, mais l’archétype existait déjà auparavant, comme le prouvent les romans A moreninha (1844) de Joaquim Manuel de Macedo et la pièce de théâtre Le démon familier (1857) de José de Alencar.

Le cinéma brésilien est prodigue de ce type, qui rassemble comique, sympathie, ingénuité et infantilisme. Rarement, cependant, le personnage est central. En général, il accompagne un blanc, comme une espèce de contre point, traditionnel entre clowns. D’où le duo de comédiens Grande Otelo (noir) et Oscarito, puis Ankito (blancs), ainsi que la présence de Mussum (noir) dans le quartet des Trapalhões, idoles des enfants. Le “Noir fou fou”, même adulte, a des caractéristiques infantiles, étant inoffensif, aux antipodes du dangereux “Noir sensuel et violent”.

 

La Mulâtresse appétissante

 

Compagne du “Malandro”, la “Mulâtresse appétissante”, rassemble en même temps les caractéristiques des orixás Oxum (beauté, vanité, sensualité), Yemanja (noblesse, impétuosité) et Yansã (jalousies, promiscuité, irritabilité).

Déjà au 18ème siècle, le poète Gregório de Matos saluait les prouesses érotiques de la Mulâtresse, et nous avons fait référence plus haut à Xica da Silva, qui a séduit un haut dignitaire de la couronne portugaise à Vila Rica. Mais ce fut dans les comédies musicales que l’archétype de la Mulâtresse s’est complètement cristallisé quand, en 1922, a débuté sur les planches de Rio de Janeiro, la chanteuse Araci Cortes, symbole sexuel des classes populaires, appelée la “Mulâtresse”.

Orfeu Negro (1959)Orfeu Negro (1959)

Aracy était très claire de peau, presque blanche. Les modèles raciaux étaient alors bien plus rigoureux. Le roman, L’esclave Isaura (1875) de Bernardo Guimarães, traite d’une de ces captives « qui passent pour blanches ». La charge mélodramatique est très forte, et le livre a été adopté deux fois au cinéma (1929 et 1949) et deux fois à la télévision (1976 et 2005), avec grand succès, y compris international (Cuba, Chine, Portugal, etc).

Le personnage, pour des exigences de scénario, a toujours été interprété par des femmes blanches. Mais des actrices de type brunette interprétant des personnages métis (Sonia Braga comme Gabriela de Jorge Amado à la télévision et au cinéma), ou des métisses aux traits européens (Lurdes de Oliveira dans Orphée Noir), ont prédominé jusque très récemment. C’est seulement en 1976, quand Zézé Motta a interprété Xica da Silva, une femme noire avec un visuel de noire dans un rôle sensuel, que le tabou a été cassé à jamais.

Le succès sexuel de la “Mulâtresse appétissante” n’est pas négligeable, il suffit d’analyser la chanson populaire, les romans de Jorge Amado, ou les comédies picaresques des années 70. Examinons quelques titres et arguments de ces films : Une mulâtresse pour tous, La mulâtresse qui voulait pécher (phrase de publicité : « Elle savait qu’avec ce corps elle pouvait séduire tous les hommes du monde »), Histoires que nos norrices ne nous racontaient pas (Blanche Neige mulâtresse en version comique-érotique).

Bien plus intéressants et réalistes sont les personages de Rio Zona Norte, A grande feira, Orfeu, Garotas do ABC et Antonia. Sans perspectives dans um milieu marginal qui les désirent et dépissent, elles lutem avec toutes ses forces pour une place au soleil.

Samba em Brasília (1958)Samba em Brasília (1958)

La Muse Noire

 

Les ébauches de la codification de ce personnage surgissent au 19ème siècle, dans l’œuvre d’écrivains ou de poètes afro-brésiliens, comme le roman Claire des Anges (1921) de Lima Barreto, où apparaît une famille noire, pratiquement absente de la fiction cinématographique. Parmi les rares exceptions, on trouve la timide Eurídice dans Orfeu negro et les femmes matriarcales des Filles du vent (2004) de Joel Zito Araujo. L’arrivée de cinéastes et de scénaristes noirs, comme ce dernier, tend à favoriser ce personnage plutôt que les types plus péjoratifs. 

Chico City (cca. 1973)Chico City (cca. 1973)

 

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Traduction:  Sylvie Debbs

par João Carlos Rodrigues
Afroscreen | 24 mars 2012 | cinéma brésilien, Noir