Huit jours, six nuits : Journal de bord d’un premier voyage au Sénégal et en Afrique Sub-saharienne

Jour 1 : Lisbonne – Dakar

 

Nous atterrissons à Dakar à 2h30 du matin. En cherchant de l’avion la presqu’île du Cap Vert, la carte que j’avais étudiée depuis des mois prend maintenant vie. Je sais exactement où est notre hôtel. Je sors de l’avion en cherchant le premier élément qui me prouvera que je suis en Afrique. Rien de spécial, à part le nom de l’aéroport : Léopold Sedar Senghor, le premier président du Sénégal, le président-poète.

Après une longue file d’attente pour le contrôle des passeports, nous entrons dans la zone de récupération des bagages. Il y a 3 tapis roulants, aucune indication de la provenance des bagages. Je demande à un employé et il m’indique le tapis n°3. Je marche vers le tapis en pensant : « Comment le sait-il ? » après avoir récupéré nos valises, nous sommes encore dans la file d’attente pour le contrôle des bagages. Je pense que je n’avais jamais vu autant de passagers avant avec autant de bagages chacun (en moyenne 3, tous grands et enveloppés de plastique). La file devient plus longue, beaucoup de confusion; les gens s’impatientent et se fatiguent. Un policier appelle et demande les passeports. Il laisse des gens passer par une autre voie, en leur évitant le contrôle des bagages. Quelle chance ils ont ! Malheureusement, nous n’y échappons pas. Nous sortons de l’aéroport et nous sentons une lumière, une agréable brise. Notre guide nous attend. Son nom est Idrissa (Idi). Il demande si nous allons parler espagnol ou français. Français. Un soulagement pour lui, un grand plaisir pour moi.

La ville est totalement vide. Pas une voiture, pas âme qui vive. Nous sommes à l’hôtel en 15 minutes. Nous avons 3 heures pour dormir.

 

Jour 2 : Dakar, Île de Gorée

 

Je suis agitée. C’est l’anxiété de débuter la journée dans une ville qui reste encore à découvrir ; l’anxiété de donner forme, couleur, odeur, son, goût à nos lectures. Le bateau qui nous emmène sur l’île de Gorée, l’ile des esclaves, est complet : des touristes et des gens qui y vont pour travailler, y prendre des marchandises, etc. … Les femmes apportent tellement de couleur à tout. Je dis à Idi que les femmes sénégalaises sont très belles. «  C’est pour cela que nous sommes polygames », répond il en souriant.

La maison des esclavesLa maison des esclaves

Nous sortons pour marcher autour de l’île. Les propriétaires des boutiques (kiosques en bois où ils vendent de l’artisanat) sont insupportables. Ils ne nous laissent pas respirer. Nous devons entrer dans chaque magasin. Et nous devons acheter quelque chose, car nous sommes leurs premiers clients (tout le monde est leur premier client…) et nous leur porterons chance. Et nous devons les soutenir. Des gens au cœur tendre sortent avec leurs portefeuilles plus légers. S’ils ne sont pas préparés à marchander, c’est encore pire. Nous déjeunons au Restaurant Café Traiteur : riz des îles (poisson-riz). Délicieux et pourtant je n’aime pas le poisson !

Quand j’explique que je voulais venir au Sénégal car j’avais vu un film à propos du sculpteur Ousmane Sow, Idi s’exclame : « nous devons alors aller au Village des Arts! » Quel soulagement… Cela ne faisait pas exactement partie du programme mais je voulais trouver une façon de le lui suggérer. Idi explique que les chinois ont construit le stade national et le théâtre national. Quand ils sont partis, l’Etat a donné leurs stands à des artistes, créant le Village des Arts. Nous pouvons entendre du jazz partout. Beaucoup de fumeurs dans les ateliers… Mais tout le monde est très accueillant.

Prochain arrêt, l’Institut Français. Si agréable, le jardin, le café, la bibliothèque. Il y a un concert ce soir en hommage à Cesária Évora. Le garçon qui vend des CDs dans le jardin nous dit qu’il y a une rumeur selon laquelle Ismael Lo en personne, une grand star de la musique sénégalaise, fera une apparition spéciale. Nous achetons les billets puis nous nous absentons pour aller acheter des livres. Deux rues derrière l’Institut se trouve la librairie Aux Quatre Vents. Je cherche la section de littérature sénégalaise. Tant de choses, je sens que je vais tout acheter. Je sors avec seulement 8 livres, mais j’ai pris note de beaucoup d’autres.
LivresLivres

L’Institut Français est assez proche de l’hôtel, je demande donc si nous pouvons nous rendre au concert ce soir à pied, s’il n’y a pas de danger. Tout le monde dit que non. Mais, bien sûr, ils ont oublié de préciser que les rues ne sont pas éclairées… au bout de la rue, nous pouvons voir la Place de l’Indépendance illuminée, mais jusque là … ? Ensemble avec Katerina, ma partenaire de voyage, nous marchons aussi vite que possible. La vue d’une silhouette féminine approchant en sens inverse nous rassure, donc nous ralentissons un peu. Nous traversons la Place de l’Indépendance et sur l’Avenue Pompidou, le trafic est semblable à celui de toute autre ville un samedi soir. L’ambiance à l’Institut Français est aussi vivante et très accueillante. Le spectacle commence à l’heure et le jeune et talentueux présentateur sait exactement comment créer de l’excitation autour de l’invité surprise. Nous écoutons les Capverdiens Zizi Vaz et Tcheka, tout deux très bons. Quand Ismael Lo monte sur scène, c’est l’enthousiasme général. Il est timide et mignon, le public est indulgent avec lui. Les images de Cesária Évora sur l’écran géant génèrent beaucoup d’émotion. Nous chantons tous, nous dansons tous, et moi, je me sens particulièrement heureuse en cette nuit d’été, à la mi-janvier, dans un théâtre à ciel ouvert à Dakar. Le café de l’Institut est plein une fois le concert terminé. Un jus de gingembre et puis un jus de ditax (pour soulager la gorge) avant de prendre un taxi pour rentrer à l’hôtel.

 

Jour 3 : Dakar- Saint-Louis

 

Ils m’ont dit que l’on ne doit pas demander quelle est la distance entre deux endroits, mais plutôt combien de temps cela nous prendra pour s’y rendre. Un petit accident entraîne un gros embouteillage sur l’unique route qui peut nous faire sortir de Dakar pour rejoindre Saint-Louis, dans le nord du pays. C’est la Route Nationale 2. Je regarde les gens dans leurs voitures et dans les bus (décorés avec des illustrations des plus grands disciples de la foi islamique), patients ou… passifs ou … juste habitués. Fatigués aussi. Je regarde les vendeurs de rues, pour lesquels ces embouteillages sont une excellente opportunité pour vendre, tout comme les arrêts de bus. Je regarde les jeunes talibés (disciples), mendiant avec leurs petites bassines jaunes. Certains sont de vrais étudiants, vivant près d’un marabout (chef religieux et professeur), qui apprennent à être humbles. D’autres sont totalement exploités par ces mêmes marabouts, qui gardent les « salaires » du jour pour eux. D’autres sont des enfants qui vivent dans la rue, mis dehors par leurs familles qui ne peuvent plus les aider. On pense qu’à cet instant la majorité vient de Guinée-Bissau.

DiscipleDisciple

Au fil des kilomètres et des kilomètres sur cette route qui nous mène vers le nord, nous sentons que nous traversons un grand marché en plein-air. Sur le bord de la route, on trouve de tout : des fruits, des légumes, des vêtements, des coiffeurs, des bouchers, des meubles, des mécaniciens. Beaucoup de monde, beaucoup de couleurs, beaucoup de mouvement, beaucoup de poussière, beaucoup de chaleur, beaucoup de saleté… après avoir laissé la banlieue derrière nous, le paysage, plat et sec, montre un grand contraste. Les baobabs ressemblent à de gigantesques squelettes qui peuvent prendre vie à n’importe quel moment. De magnifiques arbres. Hier à l’hôtel, j’ai bu du jus de baobab et mangé de la confiture de baobab.

De temps en temps, nous traversons des petits villages. Ils ont toujours une grande place centrale avec quelques magasins (TIGO, la compagnie de télécommunication, est constamment présente). Les maisons sont faites de paille et de rotin ou avec des briques en ciment. A l’entrée et à la sortie de presque chaque village et de chaque ville, de grosses ordures sont déversées. Idi dit que les gens laissent les ordures là où ils sont supposés le faire, mais la municipalité ne les ramasse pas. Et ça reste là… et ça se propage… et les enfants s’amusent au milieu de tout ça…

Notre hôtel à Saint-Louis, La Résidence, me donne l’impression d’être quelque part entre Souvenirs d’Afrique et Un Thé au Sahara. Il a l’un des meilleurs restaurants de la ville et encore une fois je trouve le poisson délicieux. Surprise, surprise…

Nous sortons l’après-midi pour une promenade. La voix de l’imam me donne toujours un sentiment de confort. Au moment même où certaines personnes prient, d’autres écoutent fort de la musique pop. Les rues centrales sont larges et presque vides. Les maisons, en ruines pour beaucoup, ont des couleurs magnifiques. Très calme. Rien ne nous prépare à l’expérience de Guet Ndar, le quartier des pêcheurs.

Plage de Guet Ndar Plage de Guet Ndar

Quand nous atteignons la plage, ma première pensée est qu’une sorte de rituel se passe sous mes yeux. Enormément de gens ainsi que de nombreuses pirogues, dans un vaste prolongement de la plage. Puis je pense que cela pourrait être des gens qui se promènent et profitent de la plage un dimanche. La réalité devient claire quand nous commençons à approcher. Il y a un peu de tout : des gens qui attendent les pêcheurs pour apporter le poisson, d’autres qui le préparent pour le vendre, d’autres personnes qui se promènent, parlent, qui s’amusent avec leurs amis, des enfants qui jouent, qui aident ou … qui se soulagent au bord de la plage (Idi nous avait averties que nous pourrions voir ce genre de choses…) Parmi les gens et les pirogues, des animaux : des chèvres, des vaches, des chevaux, des poules…. et des ordures, beaucoup d’ordures. Comme s’il n’y avait pas assez de couleur ici… des restes de poisson, des bouteilles, des sacs, tout. Après avoir marché quand même un peu, nous réalisons que la plage est vraiment sans fin et qu’une autre partie, assez grande, est occupée par des stands où ils préparent le poisson pour être séché et salé ou fumé. L’odeur est extrêmement forte. A côté du marché, un certain nombre de camions attend pour transporter le poisson jusqu’aux pays voisins.

Laissant la plage derrière nous, nous entrons dans la banlieue. Imaginez une ruche. Remplacez les abeilles par des enfants. C’est ce à quoi les rues de Guet Ndar ressemblent. Je pense que jamais dans ma vie je n’ai vu autant d’enfants, de tout âge, jouant partout. Libres, épanouis, plein d’énergie, aimables. « Toubat » (un blanc) commencent-ils à crier dès qu’ils nous voient et veulent nous serrer la main. Autour des enfants, les adultes parlent ou travaillent. Un fort sentiment de communauté. Chacun est dans la rue. On dirait qu’ils ne rentrent chez eux que pour dormir. Nous quittons le quartier, nous traversons le pont qui nous ramène à l’île Saint Louis. Nous laissons derrière nous toute cette énergie et cette activité. Et aussi l’odeur de poisson, de fumée, d’égout. Ces gens vivent là tous les jours …

Retour à l’hôtel. Je n’arrive pas à croire que je suis là depuis seulement 48 heures (en fait, même moins).

 

Jour 4 : Saint-Louis -Lompoul

 

Nous nous réveillons tôt pour être dans les premiers au Parc National des Oiseaux de Djibouti. Les gens reviennent de la mosquée et achètent du pain en face de notre hôtel.

Le paysage sur la route du parc est magnifique, aride, dépouillé, immense. Nous traversons de petits, de très petits villages. Nous visitons le parc en pirogue. Le guide connaît tout sur les oiseaux. Et c’est touchant de voir à quel point il est émerveillé par la beauté de la nature, bien qu’il soit ici tous les jours.

La jeune fille dans le village.La jeune fille dans le village.

Sur le chemin du retour, je demande si nous pouvons nous arrêter dans un village. Deux adolescents viennent nous saluer et nous y invitent. Très souriants et gais, ils connaissent déjà Idi et lui parlent. Une troisième fille, un peu plus jeune, garde ses distances et semble méfiante. Je réalise qu’à plusieurs reprises je regarde ces filles en me demandant si elles ont subi l’horreur de la mutilation génitale. C’est comme si je cherchais un indice dans leur expression. Idi dit que la pratique est illégale. Mais que peut la loi contre une si dure tradition ? Il y a énormément de femmes au Sénégal et dans d’autres pays qui se battent contre cela. Le futur est entre leurs mains (j’espère trouver le film d’Ousmane Sembène, Moolaadé, sous-titré).

Dans ces villages, il y a l’eau courante mais pas d’électricité. Je demande à Idi ce que font les gens, s’ils dorment et se lèvent tôt comme le font les gens qui travaillent dans les champs. A cette époque de l’année, il fait nuit à 7h30. Idi me répond que les gens ne se couchent pas tôt, ils restent à discuter. Et racontent des histoires. Dans certains de ces villages, il y a maintenant un poste de télévision qui fonctionne avec une batterie ou à l’énergie solaire. Les gens se rassemblent dans cette maison-là pour la regarder. Il semble que le changement que cela entraîne dans leur mode de vie rende Idi triste.

Retour à Saint-Louis pour le déjeuner. C’est toujours bon signe d’être dans un restaurant si populaire parmi des locaux. Sur l’un des murs, divers posters des précédentes éditions du Festival de Jazz de Saint-Louis. Nous mangeons du Mafé à l’Agneau, de l’agneau dans une épaisse sauce tomate, avec des légumes et … je ne sais pas quoi d’autre. Délicieux, même si Idi pense que je ne mange pas assez et que les gens au Portugal penseront que je n’ai pas aimé la nourriture du Sénégal…

Déjà dans la voiture, prêtes à partir, nous rencontrons le propriétaire de Tarenga, le magasin de musique signalé dans tous les guides touristiques. C’est aussi un ami d’Idi… donc, nous devons faire un détour pour voir le magasin. Et ça valait le coup. Sur l’un des murs, un disque de Nana Mouskouri datant des années 70…

Le désert de Lompoul, où nous allons passer la nuit, est à 90-100 kilomètres de Saint-Louis. Avant cela, nous faisons un arrêt au marché de Kébémer. Idi dit que ce n’est pas touristique et que nous pouvons acheter des tissus pour faire des robes. Nous en avons achetés et ils sont magnifiques, mais nous ne serons jamais transformées en gazelles sénégalaises- c’est ainsi qu’ils appellent les belles femmes ici. Les Sénégalaises sont vraiment magnifiques. Elles sont hautaines, provocantes, fières. Mais cela se transforme vite en un grand sourire lorsque les hommes les taquinent (et les Sénégalais ont un grand sens de l’humour). Cela vous fait réaliser à quel point ces femmes fières peuvent accepter la polygamie, dans les conditions où elle est pratiquée. Les livres de Mariama Ba (Une si longue lettre) et d’Aminata Sow Fall (La grève des battu) montrent clairement quelle anxiété, quelle peine et quelle furie cela peut causer à la fois aux femmes elles-mêmes et à leurs enfants. En réalité, les choses changent. Lentement, mais elles changent. Un homme qui veut se marier est supposé déclarer s’il est « strictement monogame » ou « polygame ». De plus en plus de femmes expriment clairement que le second choix n’est pas une option…

GazellesGazelles

L’hôtel de Lompoul est au milieu du désert, très proche de la mer que nous pouvons entendre quelque part au loin, mais sans pouvoir la voir. Je ne mets pas mes chaussures pour le dîner, le sable est fin et chaud. Nous dînons sous une grande tente, avec un groupe de Français très bruyants. Heureusement, la fatigue impose le désir de silence. Notre tente est la dernière du camp, la plus isolée. Je m’assieds dehors. Il n’y a aucun bruit, à part celui des vagues au loin. Le ciel est immense, clair, rempli d’étoiles. J’ai trouvé cela étrange de ne pas voir un seul avion passer pendant que nous étions assis là. Un des employés de l’hôtel effectue une ronde et s’arrête pour nous parler pendant un moment. (Je commence vraiment à saisir l’importance des conversations dans la vie des Sénégalais…)

 

Jour 5 : Lompoul – Lac Rose – Saly

 

Je me réveille à 7 heures, je ne veux pas rater le lever du soleil. Je sors encore pieds-nus, le sable est maintenant froid. Le ciel change constamment de couleurs. Une fois qu’il est levé, le sable devient doré, brillant. Le désert est si beau !

TransportTransport

Nous prenons la direction du sud aujourd’hui, la destination finale est Saly, une station touristique. En route, je pense aux moyens de transport utilisés par les Sénégalais. Les bus toujours bondés, je me demande comment cela doit être en terme de chaleur. Et les odeurs… Les petits bus colorés, les cars rapides, et les autres, les blancs, sans numéro ni réelle destination, où tout est négocié avec « l’inspecteur ».  Les taxis, largement usés, car ils sont plus fiables, puisqu’ils ne tombent pas en panne si souvent…. Les voitures habituelles, où nous voyons rarement juste un ou deux passagers. Elles sont toujours pleines. Aujourd’hui, nous en avons vu une avec 8 passagers : quatre à l’avant! et quatre à l’arrière ! Même Idi a ri ! Ensuite, il y a les chariots, également largement utilisés. Et finalement, il y a l’auto-stop. Sur la Route Nationale 2, nous avons vu de nombreux auto-stoppeurs. Même des femmes, ce que j’ai trouvé surprenant. Idi dit qu’il se méfie plus d’elles. Il y a de nombreux cas où les conducteurs sont accusés de viol ou … de ne pas payer ce qu’ils auraient dû…

L’aventure du rallye Dakar sur les dunes du Lac Rose (arrivée du célèbre rallye) était superbe- un peu angoissante aussi, mais cela n’a pas d’importance … Le garçon conduit la jeep décapotable à vive allure. Nous sommes debout, profitant de la vitesse et faisant un énorme effort pour ne pas tomber. Nous atteignons la plage, infinie et vide, et nous continuons la course un peu plus longtemps. Magnifique, libératrice ! Nous déjeunons près du Lac Rose, qui est réellement rose, étant donnée la forte quantité de sel dans l’eau. Les gens travaillent dans les salines jusqu’au coucher du soleil.

Nous avions pensé que nous ne voudrions pas passer deux jours à Saly au repos… Idi entre en contact avec un de ses amis qui pourrait nous emmener aux alentours pour voir un peu plus de choses. Il nous attend à l’hôtel, juste à temps. Nous nous organisons pour visiter le village de Mbour demain après-midi, pour voir l’arrivée des pêcheurs ; et après-demain, une visite du plus grand baobab du Sénégal, du village natal du Président Senghor (Joal) et de l’île de Fadiout, où les rues sont totalement recouvertes de coquillages. Quand je demande le prix, Moustafa, l’ami d’Idi, baisse les yeux, embarrassé. Il dit qu’Idi est un frère pour lui et qu’il devra décider.

Nous sommes désolées de dire au revoir à Idi. Nous ne pouvions avoir de meilleur guide pour ce voyage.

Nous entrons dans l’hôtel. De la pelouse verte, beaucoup de fleurs, de grandes chambres, des piscines, des Français jouant « aux boules ». C’est un choc. C’est comme si quelqu’un m’avait brusquement poussé hors du Sénégal pour me replacer dans mon monde. C’est comme si les préparatifs du retour avaient commencé. Je ne veux pas… je me sens énervée…

Je suis encore plus énervée quand nous sortons du supermarché. J’avais lu dans mon guide qu’il n’est pas facile pour une femme de marcher seule dans la rue. L’insistance des hommes n’a pas de limites. Cela a été les 200 mètres les plus longs. C’était la première fois que nous n’avions pas Idi à nos côtés. Presque tous veulent nous parler, nous amener ici ou là, veulent nous vendre des choses, utilisent la même ruse «  salut, te souviens-tu de moi depuis hier ?? » (C’est dans le guide et c’est vrai …)

Nous dînons et allons nous coucher. Nous sommes exténuées.

 

Jour 6 : Saly – Mbour

 

Nous restons à la plage le matin. Tout le monde, les employés de l’hôtel, les garçons qui passent, veut nous parler. Donc, nous échangeons avec eux un « Bonjour, ça va ? ». Au moins, je fais un effort, j’ai parfaitement compris à quel point cela fait partie de la culture locale. Parler, parler, parler. Toujours à propos de la même chose (quel est ton nom, d’où viens-tu, c’est la première fois au Sénégal, combien de temps restes-tu, tu voudrais rester plus, tu devrais revenir…). Mais j’essaye vraiment de faire un effort. La plupart est sympathique, avec un vrai sens de l’humour.

Dans l’après-midi, mon corps me trahit. Moustafa vient nous chercher à 3 heures. Nous arrivons à Mbour et nous allons d’abord au marché. Un jeune garçon, pour lequel je n’ai pas compris s’il connaissait Moustafa ou non, vient avec nous pour nous servir de guide. Il nous emmène dans les boutiques, il négocie les prix pour nous… mais la vérité, c’est qu’à vrai dire nous ne voulons rien acheter. Nous n’avons pas d’argent pour acheter quoi que ce soit, nous n’avons besoin de personne. Nous allons ensuite dans un marché couvert, aux couloirs étroits, oppressant. Ici nous pouvons trouver des vêtements, des produits de beauté, des légumes, des appareils électroménagers, tout. La sortie se fait par le boucher. Des kilos et des kilos de viande exposés au soleil, avec des nuages de mouches volant autour. Je n’en avais jamais vu autant… l’odeur de viande crue m’envahit. Je mets mon bras devant mon visage pour traverser le rideau de mouches et je me retrouve dans le marché aux poissons. Plus d’odeurs… au milieu de toute cette activité, le poisson, l’eau sale, la poubelle, certains travailleurs s’arrêtent pour prier. D’autres continuent. Nous sommes sur la plage. Il doit être 4 heures de l’après-midi. Le soleil est extrêmement fort. Je sens ma peau brûler. Il n’y a pas d’ombre, pas d’abri. Nous devons nous approcher pour voir le poisson arriver dans les pirogues (ce n’était pas supposé être à 6 heures …) beaucoup, beaucoup trop de gens, de confusion, de bruit, d’ordures, de restes de poissons partout, la chaleur, et maintenant en plus l’odeur d’égouts. Les odeurs … les odeurs … les odeurs … la chaleur … la soif … j’ai besoin de sortir de là … mon estomac est tellement comprimé qu’il commence à me faire mal.

BoucherBoucher

L’arrivée à l’hôtel est à l’opposé d’hier : un soulagement. Je pense que cela passera. Je prends une douche, je m’allonge mais non. Pour mon estomac c’est pire, la douleur et la gêne deviennent plus vives. Je suis incapable de dîner. Je retourne dans ma chambre. J’essaye de dormir, mais rien. Je pense que ce doit être une gastroentérite, mais je n’ai aucun autre symptôme à part les douleurs. Malgré tout, je commence à prendre des antibiotiques. Je passe la nuit dans cet état, je ne peux pas me reposer. Je ne peux pas échapper à ces odeurs.

 

Jour 7 : Saly-Joal-Fadiouth

 

Le malaise continue, intense. Je ne peux pas manger. Moustafa vient nous chercher, mais je ne sais pas si je vais pouvoir faire cette excursion. Je dois essayer, je ne reviendrai pas ici de si tôt…

On dirait que la fourgonnette va tomber en panne à tout moment. Les rues sont aussi en mauvais état. Nous avons dû nous arrêter 2 fois pour un contrôle de « police ». Les conducteurs doivent payer les officiers de police, qui partagent l’argent entre eux. Toute la transaction a lieu de façon très naturelle. Ils ne le cachent pas. C’est normal …

BaobabBaobab

Le plus grand baobab du Sénégal est magnifique comme ils le sont tous. Il a un gros tronc, complètement creux à l’intérieur. On dirait une chambre. Une fois encore, nous prenons un guide, que nous sommes obligées d’écouter (et de payer) à propos de choses que nous avions déjà lues dans nos guides. Le meilleur arrive à la fin. Le baobab est entouré de vendeurs d’objets. Le fait que nous ne soyons pas importunées nous est présenté comme un service … ici, les touristes sont pris tour à tour, par ordre d’arrivée, par un vendeur différent. «Le nôtre » nous salue de loin. Nous devons nous rapprocher. Et bien sûr, tout est en option, mais ça ne leur traverse pas l’esprit que nous ne voulons pas forcément acheter quelque chose. Nous devons soutenir la communauté… Nous devons… Nous devons… Nous devons… J’en ai marre. Mes douleurs d’estomac et ma fatigue ne sont pas propices à ma patience. Je les informe que, malheureusement, je ne veux rien acheter et je retourne dans la camionnette pour continuer l’excursion.

Le guide qui nous emmène jusqu’à l’île de Fadiouth a quelque chose de différent. Cultivé, discret, avec une voix douce, il nous dit tout à propos de cette petite parcelle de terre (Le Mont Saint Michel sénégalais), habitée par des chrétiens et des musulmans (respectivement en proportion de 90% et 10%, exactement le contraire du reste du pays). Une fois encore, je sens la fierté des Sénégalais (quelque chose que j’avais bien ressenti pendant mes conversations avec Idi) sur le fait que les trois religions (on peut aussi inclure l’animisme) coexistent dans le pays sans problèmes, dans un respect mutuel total. « Ici, pas de problème, pas de problème », ne cessent t-ils de répéter. Nous ressentons aussi cela quand nous regardons les femmes. Ce sont des femmes super modernes, presque « déshabillées » ; il y a des femmes qui sont totalement couvertes ; et il y a beaucoup de différence entre les deux. « Pas de problème ».

Sur le chemin du retour, chaque odeur,  et il y en a beaucoup, intensifie mon malaise. Pour la première fois, il me traverse l’esprit que cela peut être psychologique. Je sens que je ne peux pas accepter le manque d’hygiène, qui surpasse tout ce que j’avais vu avant. Pourquoi vivent-ils comme ça ? Pourquoi ne sont-ils pas dérangés ? Est-ce que l’habitude neutralise tout ? Ne savent-ils pas quelles seraient les solutions de rechange ?

Nous sommes de retour à l’hôtel et j’essaye de voir s’il y a une chambre disponible puisque nous avons rendu la nôtre ce matin. J’ai vraiment besoin de m’allonger. Je me sens très mal et fatiguée. L’hôtel est complet. Il est 14h et ils viennent nous chercher pour nous emmener à l’aéroport à 22h. Désespoir. Notre salut vient des deux chaises longues sur la plage. Nous sommes installées prêtes à passer quelques heures là. Je réussis à dormir et quand je me réveille, je bois du coca et mange des biscuits. Ils ont bon goût. La douleur est moins intense.

Nous attendons le transfert vers l’aéroport, en espérant que la camionnette soit raisonnablement confortable. Une grande Renault apparaît, spacieuse, propre, sentant bon, juste pour nous deux. Nous sommes sauvées ! La route, la nuit, a un aspect complètement différent. Les marchés ont disparu, les boubous colorés aussi, les enfants sont à la maison, il n’y a pas d’éclairage mis à part celui qui vient des quelques petites boutiques. Il y a des gens en train de parler, toujours en train de parler …

Dans la banlieue de Dakar, surprise … Embouteillage. Dans un petit bus sur la voie d’à côté, juste un peu devant, le visage d’une femme est illuminé alors qu’elle essaye de poser la tête sur la vitre et de dormir. Elle paraît fatiguée et quand ses yeux sont ouverts, on peut y voir un absolu désespoir. C’est effrayant. Je ne peux détacher mon regard d’elle. Elle s’endort finalement. De l’autre côté de la route… un marché en pleine obscurité ! Animé comme en plein jour ! Finalement, tout ne dort pas.

 

Jour 8 : Dakar-Lisbonne.

Nous arrivons à l’aéroport un peu avant 1 h du matin. Une file d’attente à l’entrée car un policier contrôle les passeports ; une file d’attente au check in, pas très longue, mais extrêmement lente ; une autre file pour qu’un membre de l’équipage tamponne nos cartes d’embarquement ; une autre encore pour le contrôle des passeports, celle-ci oui, interminable. Mes douleurs d’estomac reviennent et j’ai en plus une migraine, j’ai froid. Je suis exténuée et cette « nonchalance africaine » n’est pas exactement ce dont j’avais besoin pour le moment. Quand nous arrivons devant, nous voyons qu’il y a juste trois officiers pour tous les gens qui partent par les premiers vols du matin. Deux d’entre eux partagent le même tampon, calmement … j’ai envie de pleurer… ou d’hurler… je pense que je ne serais jamais capable de m’asseoir. Quand tout est fini, c’est l’heure d’embarquer. Je rentre dans l’avion et je m’endors immédiatement. Je ne me rends même pas compte que d’autres personnes viennent s’asseoir à côté de moi.

Je me réveille un peu après. A ma droite, le continent africain et un croissant de lune. Je me demande quel peut bien être le pays que l’on survole en ce moment. Une future destination possible. La Mauritanie… ? Je me rendors et quand je me réveille, nous atteignons le continent européen. Je peux voir l’Algarve et nous continuons à survoler le littoral. Tout est très familier. Nous revenons dans notre hiver.
_____________

Les gens me demandent comment c’était. Ils me demandent si je me suis amusée. Ils me demandent si c’était merveilleux. Je ne peux répondre ni « c’était bien», ni «je me suis amusée » ni rien d’autre qui est dit habituellement dans ces occasions. Ces mots paraissent banals, abusifs, imprécis. J’en cherche d’autres. Peut être que s’ils me demandaient si cela me manque ? Je répondrais oui.

Traduction:  Allison Rodrigues

par Maria Vlachou
Vou lá visitar | 14 mai 2012 | Senegal, voyage